ÉLAN

Fondée en 1957, ÉLAN est une publication désormais annuelle, éditée par le Fec. Indépendante de tout groupe de presse, elle aborde aussi bien des sujets économiques, sociaux, politiques, religieux ou culturels. Elle représente un concentré des activités du foyer : résumés des conférences, pages opinions, recensions, articles d’analyse.

ELAN 2023
Prix : 19 € (hors frais de port)
276 pages.
Directeur de la publication : Etienne TROESTLER

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Éditorial de la publication 2023
Par Etienne Troestler

Nous vivons des mutations. Subies ou choisies, elles indiquent un progrès ou une faillite, des espoirs ou des défaites. Chaque génération semble être témoin ou acteur de mutations. Rien de nouveau à cela. Que devait-on penser lors des premières constructions gothiques ? Enfin la lumière et les couleurs dans nos bâtiments, mais quelle « fragilité » ! La Renaissance bouscule encore une fois les codes. Et plus tard, ce Galilée qui chamboule tout ! Quelle excitation avec Luther et ses idées de réforme dans l’Eglise ! Etc.
Les progrès techniques sont souvent assez facilement perceptibles, surtout pour les moyens de communication, la médecine et bien d’autres domaines. Ils sont tangibles. Mais d’autres évolutions, qui sont des mutations peut-être plus anthropologiques, échappent un peu à l’analyse.
Il en va ainsi de notre rapport au religieux. Il est donc intéressant de voir comment, en Occident, l’idée de transcendance évolue. L’article Vivre ensemble la fin du monde de Martin Steffens se penche sur notre rapport à l’Histoire, qui est une Histoire qui prend fin, sans pour autant mettre un point final au monde… Et si aujourd’hui il y a – encore – des adeptes du patrimoine, il y a aussi tout un courant qui traverse la société pour signifier une option préférentielle pour la Nature. Certains diront qu’il n’y a pas contre-indication ou opposition à servir les deux ; il y a cependant mutation dans notre interprétation des relations entre ces deux composants de notre existence. L’Histoire ne s’arrête pas. Il est possible de s’en échapper, de tuer le père, mais il est toujours impossible de nous sauver nous-mêmes, seuls, ou de sauver la planète comme un dieu efficient, car justement, personne ne peut s’approprier ni l’Histoire, ni la Nature. Nous nous devons de vivre la finitude. Nous nous devons d’habiter le présent. Alors, comment traverser notre monde sans s’y perdre ?

Il est possible aussi de s’interroger, dans cette perspective même, sur la transmission culturelle et religieuse. Le constat est assez simple : il y a des ruptures culturelles qui rendent plus difficile d’appréhender avec justesse et rigueur des notions comme la religion et, en conséquence, la laïcité. La difficulté est grande lorsque, dans un dialogue, les références ne sont pas comprises : c’est quoi le sacré pour un chrétien, un musulman ? C’est quoi l’évangélisation ? C’est quoi l’Incarnation ? Si ces notions ne sont plus appréhendées par le vis-à-vis, comment peut-il traverser sans heurts un monde commun qui ne pourra être saisi autrement que par les seules lunettes du matérialisme ?
Le christianisme vit ses propres mutations, souvent trop tenté qu’il est de conserver une tradition fantasmée face à des pratiques cultuelles éclatées, dans un grand self-service des religions. Et pourtant, la notion de transcendance ne s’est pas envolée au gré des assauts de l’athéisme et du scepticisme. Il se trouve que le vivre ensemble, la rencontre de l’autre, c’est toujours une expérience radicale, celle de la rencontre d’un absolu, d’un radicalement différent. Il semble même que la chaotique relation femme / homme procède de ce principe, au-delà de la question du Droit. A mesure que l’on déploie une énergie débordante à vouloir légiférer pour fabriquer de l’égalité, de la concordance, de la mêmeté, on est bien obligé de s’apercevoir que la spécificité et la distinction ne se dissolvent pas dans le bain du semblable. Peut-être faudrait-il alors aussi remettre à l’endroit la notion de religion. Dans son acception contemporaine, c’est toujours sous l’aspect institutionnel qu’elle est abordée. Or, une religion, c’est un peu comme notre cerveau : un système de relations extrêmement complexes, avec des liens qui se font, se défont, mutent ou disparaissent (liens entre les hommes, Dieu, la Nature…). La religion comme re-lier, religare… Cet aspect est – volontairement ? – mis de côté, au profit du culte « d’une société scientifique, technique et marchande ». Cette dernière expression est empruntée à Dominique Roth. Un humain dévoué intégralement aux sciences, soumis aux technologies, est de fait un parfait consommateur.
Enfin, il semble que l’éducation joue un rôle majeur… Si l’on confie à l’école la transmission des savoirs, du moins de certains savoirs, des domaines entiers de nos existences échappent, par choix politique ou par héritage successif, à l’institution. L’éducation religieuse, mais la cuisine aussi par exemple, sont confiées aux familles ou à des institutions décrédibilisées par les tenants officiels du savoir. Que l’État ne régente pas toutes les composantes de la « formation », de « l’éducation » est en soi une bonne chose. L’école se doit d’ailleurs d’apprendre à réfléchir, à savoir porter une analyse, développer l’esprit critique. Mais le constat est aigre-doux. La démocratie toussote, l’esprit critique devient souvent « moi d’abord », le consommateur est docile… Ainsi, il serait intéressant de mettre du « savoir dans la croyance », car croire est une caractéristique humaine. Bref, outre la nécessaire connaissance de l’histoire des religions, il est important aussi de permettre une intelligence du croire.

Si l’on s’arrête, tout de même, sur l’institution Église, on lira utilement deux articles (J.-L. Hiebel et J.-P. Blatz) qui abordent sa nécessaire mutation, réforme, rénovation, transformation… comme on voudra. Un jour peut-être, n’aurons-nous plus à publier ce type d’analyse hic et nunc encore requise si l’on souhaite sortir de l’impasse. Nous consacrerons alors nos énergies aux enjeux

Et puis, comment, au travers des siècles, en sommes-nous arrivés en Occident à un Homme au comportement despotique face à la Nature, cette Nature si proche et si lointaine, qu’il ne connaît finalement pas aussi bien qu’il le prétend ? L’Homme dominant, avec une structure mentale verticale en partie permise par les religions du Livre, serait en cause. Mais, ne serait-ce pas aussi dû à un anthropocentrisme philosophique détaché de toute référence d’une quelconque transcendance ? Une philosophie qui oublie la question du tout Autre devient fatalement anthropocentrique !
Un peu d’exégèse est toujours utile et permet de ne pas faire croire ou dire ce que les textes fondateurs de la Bible ne disent pas. On peut aussi à l’occasion pointer les erreurs du passé, les dérives, dans la lecture scrupuleuse de ces textes fondateurs. Une fois ce travail effectué, il reste à savoir si l’union corps et âme du thomisme serait le chemin que nous empruntons –toujours– pour aller vers un Dieu d’amour (amour comme une union). Quelles conséquences dès lors pour nos liens avec la Nature (liens d’amour…) ? Demeurons-nous toujours, un peu, quelque part, proches de l’autonomie des substances, avec une Raison pure, reine de nos sens et de nos choix ?

Reste entière, également, la question de la révélation et de la foi en un Homme-Dieu. Un « incommensurable » qui n’est peut-être pas à mettre de côté trop rapidement, hors-champ, hors-monde, mais qui est plutôt à placer au début, au bout ou sur le chemin d’un parcours de vie. Il doit être intégré, absorbé, travaillé, car ni la Nature vécue comme un ensemble de relations plutôt complexes, ni la foi (a fortiori complexe…), ne sont extérieures à l’expérience. Celle-ci, à travers la société marchande mondialisée, la standardisation des biens culturels, l’aliénation par le travail, n’est pas hors-monde, elle est monde. La foi et la Nature sont bien sûr traversées, transpercées, trouées par cette société. Cette société, compagne de la sécularisation, est donc à l’oeuvre dans nos existences faites de fêlures et d’inconnu. La Nature fantasmée, unique, sans aspérité, bonne, généreuse, sans faille, Dame rêvée, ne serait-elle que l’objet des sciences et donc objet d’un désir qui échappe, qui fend le réel ? Il y a bien un divorce avec la Nature si on souhaite sa mise à distance en en faisant essentiellement un objet d’études scientifiques. En faire un objet de science sans y voir un « incommensurable », c’est faire fausse route. On a une expérience de la foi, comme on a une expérience de la Nature. Il s’agit alors d’intégrer « l’incommensurable », pour mieux intégrer la Nature.

Notre force, notre autonomie, c’est l’expérience d’un décentrement, une identification non-narcissique avec ce qui est étranger, une expérience qui peut se vivre par la foi ou la philosophie sans succomber aux charmes des nombres. La théologie comme science est fondamentale pour une intelligence de la foi, mais ce n’est jamais la foi. De même, il est essentiel de comprendre le fonctionnement cellulaire d’un végétal, ou encore les grandes mutations à l’échelle de millions d’années ; faut-il y perdre pour autant notre capacité de jugement et voir dans la Nature seulement un objet ? Le jugement est une activité bien humaine qui peut s’exercer sans fatalement en faire un anthropocentrisme. Celui-ci est davantage l’apanage des sciences dites dures que des sciences humaines, on a tendance à l’oublier. On pourrait penser que les « professionnels » du décentrement sont les leaders de la critique de l’anthropocentrisme. Mais l’Eglise, pour la nommer, semble un peu oublier l’expérience de cette « centralité d’un décentrement », et préfère s’abriter sous la tonnelle du cultuel, par paresse intellectuelle et par passivité militante. On pourrait ici évoquer la philosophie qui ne semble pas plus, actuellement, proposer des voies crédibles et acceptables. Aller dans le Monde, compagnonner avec la Nature, se frotter à l’art contemporain (qui n’arrête jamais d’interroger le réel, le beau, le vrai, le brut…), questionner sa violence… voilà des chemins que le christianisme et la philosophie seraient capables de prendre plus souvent et plus sérieusement s ‘ils proposaient l’expérience du décentrement. Rien ne s’y oppose.

Dans ce numéro 2023 d’ELAN, on peut se cultiver en sillonnant les champs de la défense européenne, en posant la question de la souveraineté de l’Europe, on peut encore se frotter à une réflexion sur le mouvement « Woke » ou observer les dérives des mouvements de développement personnel. Un peu de poésie sur les dernières pages donne une note finale en forme d’ouverture au monde…