Un bâtiment chargé d’histoire

Une ère nouvelle s’ouvre quand, en 1595, le terrain se trouve entre les mains des nobles de Zuckmantel.

Damoiseau Philippe Thierry Boecklin de Boecklinsau, époux d’une demoiselle de Zuckmantel, fit construire en 1598 l’imposant immeuble de style Renaissance qui devint le patrimoine des Boecklinsau. Dans la suite, des héritiers, tels les Berstett (1587), damoiseau Dagobert Wurmser de Vendenheim (1673), baron Frédéric Wangen de Geroldseck (1681) y résidaient.

Cet hôtel est des plus importants au point de vue architectural. Construit à la fin du XVlème siècle, il présente une riche façade à pignon (voir clichés). Deux grands oriels rehaussent l’ampleur de l’aspect extérieur. A l’intérieur on remarque une élégante porte Renaissance qui donne accès à un escalier en spirale. Au premier étage plusieurs beaux et grands plafonds en stuc. En 1862, sous une épaisse couche de badigeon, furent découvertes des peintures décoratives attribuées à un maître du XVlIème siècle. Au dessus de la porte cochère brillaient les armoiries d’Alsace ; la Révolution les a enlevées ainsi que les toits élancés, avec leurs tourelles saillantes. Elle a remplacé ces insignes nobiliaires par des balcons.

Vicissitudes d’un lieu et d’un bâtiment

La période romaine

Malgré les dévastations causées par les nombreux tremblements de terre, les terribles incendies et les multiples guerres au moyen âge, la topographie du vieux Strasbourg, qui comptait surtout des maisons en bois, a gardé presque intact l’ancien tracé de la ville centrale. Un de ces exemples typiques de conservation est fourni par la configuration de la place Saint-Etienne.

Au temps des Romains on accédait à cet endroit en passant par la porte nord-est (média porta meridiana). La ville n’était alors que le camp fortifié (custrum), un grand rectangle clôturé. L’actuelle place Saint-Etienne n’était qu’une voie dans cet ensemble militaire. Des vestiges de cette époque sont d’ailleurs conservés au Musée romain de Strasbourg. Il y a quelques années, on trouva devant la maison n°3, en face du Ritter, à 3 mètres de profondeur, un motif de décoration en pierre calcaire, sans doute reste d’un beau monument du premier siècle avant ou après Jésus-Christ. Plus loin furent exhumées, devant le n° 16, des tuiles portant la marque de la VIIIème légion romaine. En même temps, à l’occasion de travaux de terrassement, deux statues de bronze des empereurs Vespasien et Nerva furent dégagées. En 1859, une déesse Fortuna avait déjà été retrouvée. D’autres objets : haches romaines de différentes formes, monnaies des empereurs Auguste, Vespasien, Domitien, Nerva, Trajan sont autant de témoins de la civilisation romaine de cette forteresse qui devint lentement un bourg et plus tard une ville.

La place Saint-Etienne

La pénurie des sources de ce printemps médiéval que sont les IXème et Xème siècles ne permet guère de donner des détails sur les autres immeubles ou jardins qui bordaient aux Xlème et Xllème siècles encore la place Saint-Etienne. Au XIIIème siècle (1267) la place porte le nom de la ” basilique ” : Platea sanctae Crucis; nous en déduisons la prépondérance de Sainte-Croix sur Saint-Etienne, son ainée. La petite rue qui longeait la chapelle et qui a gardé son nom jusqu’à nos jours, se disait alors : Vicus sanctae Crucis.

La cour qui était contiguë à la chapelle fut donnée en propriété par les comtes Egeno et Henri de Fribourg à leur vassal Rodolphe Howemesser, chevalier de Vendenheim, à la date du 2 janvier 1274 ; celui-ci accepta en échange de ce présent un alleu en fief. La maison d’en face (aujourd’hui Place Saint-Etienne n° 1) apparaît dans les documents dès 1465. Claus Frie le cordonnier l’habita Des boulangers l’occupaient à partir de 1587. Selon une légende populaire elle aurait été le domicile du célèbre Erwin de Steinbach !

Le n° 16 actuel hébergea en 1587 le notaire Adam Maechler ; après de nombreux changements de propriétaires et de locataires, c’est S.A.S. Madame le margrave douairière de Bade qui y logea en 1740. Monsieur d’Oberkirch de Molsheim en fut propriétaire en 1789. Au lendemain de la Révolution, en 1822, Mme Chasserot y installa un pensionnat. Une quinzaine d’années après, une fabrique de jouets d’enfants s’y établit. En 1871 les documents la disent : Maison des sœurs de Nierderbronn.

Dans un acte de donation du 2 décembre 1790 nous lisons que Demuodis, femme de feu Rudeger Moerdelin, renonce à ses droits sur la maison sise ” ex-opposés Sanctae Crucis ” en faveur du couvent de Sainte-Catherine. Erbo de Kageneck, chanoine de Saint-Pierre, consent par un acte du 7 décembre 1316 à une donation entre vifs, de Demuodis, fille de feu Rudeger Moerdelin à sa fille Agnès, d’une maison et d’une cour ” zum Moerdelin ” sises en face de la Basilique. Le lendemain le chapitre de Saint-Pierre certifie que Erbo de Kageneck a institué une prébende à l’autel de Saint-Pierre dans l’église du même nom ; les revenus proviennent de différentes maisons dont celle dite ” hus zuo dem von Basile (Bâle) ” à côté de Sainte-Croix. Demuodis, fille de feu Rudeger Moerdelin, renonce à tous ses droits sur la maison et la cour près de Sainte-Croix par un document daté du 13 août 1320, en faveur du sieur Erbo de Kageneck qui le loue en emphytéose (bail à long terme) à Agnès, fille de Demuodis et femme de maître Hugues notaire.

En outre, les sources ont gardé le souvenir d’une vente de maison qui eut lieu le 24 mars 1322 : Jean Hessekint, fils de Hesso l’apothicaire, a vendu à Jean de Geudertheim la maison ” zu dem kleinen Werkmeister ” avec sa cour sise à côté de la maison ” zu dem alten Werkmeister “.

Le siège de la Noblesse Immédiate de la Basse-Alsace

En 1685, le Directoire de la Noblesse Immédiate de la Basse-AIsace, antérieurement (1681) à Niedernai, établit sa résidence dans ce vaste enclos. Ouvrons une parenthèse pour jeter un coup d’œil rétrospectif sur cet important groupement.

Au courant du XVème siècle, la petite noblesse, ou plus exactement pour rester dans les perspectives de l’histoire régionale, la noblesse inférieure de la région sud-ouest du Saint-Empire Romain et quelques seigneurs se constituèrent en Noblesse immédiate (Die unmittelbare Reichsritterschaft). Ses membres ne dépendaient que de l’Empereur. En 1487 la grande confédération souabe se rallia à eux et grâce à une entente aussi puissante, ils purent mieux se garantir contre les convoitises des princes et des grands seigneurs. En 1577 les nobles de Souabe, de Franconie et du Rhin s’y rallièrent (libera et immediata imperii nobilitas). Au lendemain de la guerre de Trente Ans, en 1650, ils se donnèrent une nouvelle constitution Quand on rédigeait, en 1651, lors de l’alliance avec les groupements voisins, la matricule de l’Alsace, quatre vingt deux localités étaient représentées au Directoire. Parmi les familles les plus riches en terres, il faut signaler les Andlau et les Rathsamhausen.

Louis XIV, ayant conquis l’Alsace, ménagea la Noblesse avec une particulière bienveillance : s’il abolit le droit d’aubaine dans notre province, il maintint les privilèges nobiliaires institués par les Empereurs. La jurisprudence et les droits fiscaux furent légèrement modifiés. En février 1681, le barron de Wangen, chevalier d’honneur au Conseil souverain d’Alsace, s’était rendu auprès du roi, accompagné de quelques nobles de la Basse-Alsace, pour recommander la noblesse à la protection de l’illustre souverain Alors Strasbourg était encore ville libre impériale. Le 12 mai 1682, à Niedernai, elle prêta le serment de fidélité entre les mains de Jacques de la Grange, intendant de la justice, de la police et des finances d’Alsace. Quand la ville eut capitulé, l’hôtel des Boecklin fût acheté pour y établir le directoire de la noblesse, à laquelle le roi le donna en fief, par une ordonnance de 1685. Ce directoire était composé d’un président, de six conseillers, de trois assesseurs et d’un syndic. Le jeudi de chaque semaine, ils se réunissaient pour entendre les plaintes que les gentilshommes ou les villageois de leur dépendance avaient à porter les uns contre les autres, et les jugeaient en première instance, tant au civil qu’au criminel, sauf l’appel en dernier ressort au conseil souverain d’Alsace. En 1787 s’y tinrent les réunions de l’assemblée provinciale d’Alsace, sous la présidence du bailli de Flachslanden et du syndic Schwend. Le Directoire fit son entrée à Strasbourg en juillet 1682. La majorité en avait toujours été protestante, elle devint catholique, sous le régime français. Mais ses droits dépérissaient lentement et la noblesse acheva de perdre ses privilèges par la Révolution. Le syndic de la noblesse, Etienne Joseph de Schwend, député à l’Assemblée nationale en 1789, assista à la suppression du Directoire.

Après la révolution

Au lendemain de la Révolution, en 1794, l’immeuble porte le nom de maison Beaurepaire. L’année suivante le café P. L. Duduis s’y installe. Mais les affaires marchent mal, de sorte que, dès 1796, un nouveau propriétaire apparaît. Un homme de lettres, le sieur Rozières, y ouvre une école privée. Encore celle-ci ne vit-elle pas longtemps, puisqu’on rétablit un café, Colnag qui est mentionné en 1811. Déjà l’année suivante le café Antoni le remplace. En 1817 on lit à l’enseigne : Flamand ; en 1821 : Café J. F. Lefèvre ; 1840 : café Hartmann, et en 1860 : Café J. G. Stroebel. ” Aujourd’hui – écrivit Piton en 1855 – les officiers d’artillerie de la garnison viennent s’y rafraîchir après les fatigues du service ; jadis la noblesse de la Basse-Alsace y avait ses réunions “. Le rez-de-chaussée abrita, en 1866 l’Institut Schirmer, qui prépara au baccalauréat, tandis qu’à partir de 1864 se tint au 1er étage le Café Heimburger. Il est impossible de déterminer exactement l’année où apparaît pour la première fois la désignation ” Café Saint-Etienne” qui est d’usage avant la guerre de 1870.

Après la guerre de 1870

Au lendemain de la guerre de 1870 Vve Sophie Heimburger gère le Café qui porte son nom. En 1874, Florent Heimburger figure comme propriétaire dudit Café. Il a dû mourir entre 1874 et 1876, car en 1876 We Sophie, née Hipp, apparaît dans les annuaires jusqu’en 1892. Henry Philippe lui succède en 1895 : deux ans après, sa femme, veuve, est gérante de la maison. En 1898, un cercle ” Krieger-Verein ” s’y installe. Après une interruption de 12 ans, le bâtiment redevient restaurant au ” Ritter ” (1910).

Telles sont les vicissitudes de ce lieu et de cet immeuble qui plongent leurs racines jusqu’aux temps les plus reculés de l’histoire d’Alsace. Déjà en partie intégrante de l’antique castel romain, noyau du Strasbourg historique, ils portent témoignage de toutes les grandes périodes de notre histoire. Le moyen âge religieux y construisit une chapelle, la Renaissance laïque un hôtel. Quand la tourmente révolutionnaire eût balayé le passé, la maison mutilée des emblèmes de ses fondateurs, semblait comme abandonnée à tous les ballottements du hasard. Les établissements les plus hétéroclites y cherchèrent un refuge momentané. II nous plaît cependant de relever que le long XIXème siècle avait posé nomme des pierres d’attente pour l’œuvre future, et espérons-le, définitive, puisque longtemps cette maison fût un restaurant que nous voulons croire apprécié, et qu’un beau jour on s’avisa d’y préparer le Baccalauréat : n’est-ce pas à ces deux fins qu’est voué aujourd’hui le Foyer de l’étudiant catholique, qui voici dix ans déjà (1924 NDLR) est un centre actif de la jeunesse étudiante catholique ? C’est à cette jeunesse que nous dédions ces pages: puisse-t-elle quelquefois songer à ce grand passé qui la porte à s’en rendre digne dans un présent où semblent se renouveler les vieux confits.

L’actuelle place Saint-Etienne se situe au cœur de l’ancien Castrum Romain. Les murs du bâtiment du FEC datent de 1598 quand, sur la place laissée libre par la destruction de la chapelle Sainte-Croix (XVème siècle) en 1552, le sieur Boecklin von Boecklinsau construisit un hôtel particulier de style Renaissance. Actuellement, la façade extérieure, le plafond à caisson de la salle du premier étage ainsi que l’escalier de la tourelle sont classés monument historique.
Dans les années précédant la Révolution, la bâtisse servit de siège à la noblesse de Basse-Alsace (Ritterschaft). D’où le nom donné plus tard, au début du XXème siècle, au restaurant, le fameux “Zum Ritter”. Tout au long du XIXème siècle, des cafés et des commerces s’y succèdent. Vers la fin du siècle, la façade est décorée dans le style de l’époque.

En 1921, le bâtiment est dévolu au Patronage de l’enfance et de l’adolescence de Strasbourg par la Société Saint-Vincent de Paul, pour y accueillir et y encadrer des jeunes mineurs délinquants. En 1924, les Frères de la Congrégation de Matzenheim deviennent propriétaires et poursuivent l’œuvre. Dès 1925 cependant, la maison commence à recevoir des étudiants sous la direction, à titre provisoire dit-on, d’un certain Georges Willer, autrement dit Frère Médard. L’histoire du FEC proprement dit commence alors…

Foyer d’étudiants catholiques

Peu à peu, chaque rentrée apporte quelques nouveautés au Foyer : le confort s’améliore, une salle de restaurant naît et de nouvelles chambres sont conçues. Une salle de théâtre de 800 places est transformée en dortoir. Pendant la guerre 1939-45, la maison est réquisitionnée par l’armée allemande. Après la guerre, le Foyer retourne à ses propriétaires. Même si l’on entend encore des tirs de fusils, les premières réunions se tiennent au FEC en vue de faire redémarrer les activités d’hébergement et d’animation. En 1951, le FEC est agréé comme Restaurant Universitaire. Puis on décide d’acquérir le bar “Monaco”, dont la réputation était assez spéciale… toujours pour loger plus d’étudiants. Plus tard enfin, en 1960, le pavillon Schuman est construit, avec 44 chambres au format Cité U.

Les travaux de mise aux normes (sécurité incendie) entre 1999 et 2005 permettent l’accueil de 155 étudiants dans des chambres simples ou doubles. Petite révolution après 75 ans de traditions masculine, le foyer devient mixte en 2000. De même, le confort fait pâlir les plus anciens qui connurent les dortoirs chauffés avec un poêle… Dans chaque chambre : cabine douche-toilettes, lavabo, réfrigérateur, téléphone etc.

En 2015, c’est une salle de lecture de près de 90 m2 qui est construite avec cinq chambres supplémentaire. Le choix d’une structure OSB (Ossature bois) répond aux nouvelles exigences en  matière de construction. le foyer accueille désormais 161 étudiants.